Depuis 2011, un des droits accordés à toute personne placée en garde à vue est celui de pouvoir être assistée par un avocat et ce, tout au long de cette mesure de privation de libertés.
La personne pourra donc faire appeler un avocat de son choix pour être à ses côtés pendant le déroulement des interrogatoires dont il fera l’objet.
Dans le cas où l’avocat choisi ne pourrait être joint ou si la personne ne connait pas d’avocat au moment où elle est placée en garde à vue, la loi précise qu’un avocat commis d’office pourra venir l’assister.
Une fois présent ce professionnel disposera d’un temps très limité, en l’occurrence 30 minutes et pas une minute de plus, pour s’entretenir avec la personne en garde à vue avant que ne commence l’interrogatoire.
Cet entretien en tête à tête, sera le seul possible, et il n’en existera qu’un seul autre, qui ne pourra avoir lieu que dans l’hypothèse où la mesure de garde viendrait à être reconduite, c’est-à-dire 24 heures après son début.
La loi française, très soucieuse de préserver les prérogatives de la puissance publique dans l’exercice de sa force, ne donne volontairement aucun moyen à l’avocat pour défendre à proprement son client lors d’une garde à vue.
En pratique l’avocat dispose du droit de lire le procès-verbal où figure la notification des droits du gardé à vue, et de connaitre les raisons qui ont motivé le placement en garde à vue, en d’autres termes, la ou les infractions qui sont reprochées à la personne en question.
C’est tout.
En clair l’avocat n’a aucunement accès au dossier d’enquête intéressant la personne, ce qui signifie qu’il connait les raisons pour lesquelles son client est en garde à vue mais qu’il ne peut rien connaitre de la matérialité des faits, de leur déroulement dans le temps avec qui, pour quoi, ou comment.
Ainsi cela revient à donner le titre du film mais pas le scénario et encore moins le script, et de toute façon ça tombe bien, puisqu’on ne demande pas à l’avocat d’être acteur de quoi que ce soit durant sa présence mais d’être simple spectateur…
Dans un tel contexte assister une personne gardée à vue revient en pratique pour un avocat, selon les dispositions du Code de Procédure Pénale, à s’assoir à ses côtés et à principalement demeurer le spectateur forcé d’une mise en scène, souvent très pathétique, confiée par notre brave législateur aux bons soins d’un enquêteur de police ou de gendarmerie sous le prétendu contrôle d’un magistrat (le plus souvent peu aux faits de l’histoire en question).
En théorie et avant toute chose, il convient de préciser qu’une personne peut être mise en garde à vue uniquement s’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction. Cette infraction doit être punie par une peine de prison (et non par une simple amende).
La garde à vue est décidée par un officier de police judiciaire (OPJ), qui peut être un policier ou un gendarme.
La garde à vue doit être l’unique moyen de :
- poursuivre une enquête impliquant la présence de la personne concernée,
- garantir la présentation de la personne devant la justice,
- empêcher la destruction d’indices,
- empêcher une concertation avec des complices,
- empêcher tout pression sur les témoins ou la victime,
- ou de faire cesser l’infraction en cours.
….
En pratique (et ce n’est que ça qui compte), il y aura GAV par simplicité pour l’enquêteur qui aura sous la main pendant 24H (renouvelable 24H supplémentaires, dans la plus grande majorité des infractions) une personne qu’il qualifiera de suspecte pour les besoins de son travail dit d’investigations….
Le sens de l’expression « raison plausible » étant dans le quotidien policier bien trop souvent très indépendant de toute notion de raison à proprement et intellectuellement parlé ou pensé !
Il faut savoir que, comme pour la création théâtrale ou cinématographique qui connait autant de mise en scènes qu’il y a de scénaristes, il existe autant de GAV qu’il y a d’enquêteurs.
Ainsi il n’est pas nécessaire pour l’avocat d’être un expert en psychologie pour vite comprendre la qualité de son interlocuteur et l’intérêt qu’il porte à son dossier ou pire, à la personne qu’il a préalablement décidé de priver momentanément de liberté.
Dans le meilleur des cas, et il n’est pas théorique ou exceptionnel, l’avocat se verra en présence d’un OPJ (l’OPJ N°1) prompt à envisager sa mission sous l’angle de la discussion véritable et en ce sens, l’OPJ s’appuiera sur l’avocat pour justement présenter préalablement les charges en cause, ou à tout le moins envisager la présence du conseil comme un moyen efficace et objectif permettant tout autant à la personne de s’expliquer sur les faits eux-mêmes, que d’en décrire leur contexte.
A ce titre, s’expliquer sur les faits eux-mêmes, ne voulant pas obligatoirement signifier reconnaitre ces faits : bien au contraire puisque c’est justement s’expliquer qui importe.
L’avocat induisant par la qualité préalable de l’enquêteur qui va lui permettre d’intervenir verbalement durant l’interrogatoire, à ce que l’exercice de la mesure de GAV soit porteuse d’une avancée qui fait défaut au dossier à l’heure de la décision de placer la personne concernée en GAV… ; que cette avancée aille ou non dans le sens des charges important peu puisque par définition, s’il y a garde à vue, c’est que sont supposés manquer des éléments au dossier en question, ou à tout le moins, que ces éléments nécessitent d’être vérifiés, contrôlés, et surtout débattus en présence du principal intéressé.
Mais parfois et hélas, disons-le clairement, trop souvent, quelques mots accompagnés de postures cyniques ou martiales feront clairement comprendre que le voyage forcé auquel un autre type d’OPJ (l’OPJ N°2) convie l’avocat en question via sa mesure de GAV, va s’avérer pénible et intellectuellement douloureux.
Ainsi les techniques rhétoriques faites d’ellipses et de contournements feront comprendre au prétendu conseil que son client n’a point été amené dans ce commissariat ou cette brigade, pour s’expliquer au sens sus indiqué, mais pour participer à une sorte de fronde, où l’idée n’est pas de recueillir sa position sur telle ou telle chose du dossier, mais de jauger sa capacité à mentir, ou au contraire à acquiescer à la propre vérité de l’enquêteur, et donc à avouer.
En clair la GAV ne permettra non point de recueillir un positionnement mais de jauger le mensonge ou principalement d’avouer.
Petit exemple choisi :
OPJ N°1 : Au travers de la transcription de l’écoute téléphonique du 31 décembre entre vous et Monsieur X il apparait que vous vous êtes rendu avec lui à Sète, qu’alliez-vous y faire?
OPJ N°2 : Et Monsieur X vous ne le connaissez pas bien sûr ? Tout comme Sète, vous n’y êtes jamais allé ?
Ainsi, partant de l’idée que l’OPJ N°2 dispose de la même transcription d’écoute téléphonique, pourquoi décider de poser cette question de cette façon puisqu’il détient sans contestation possible la réponse ?
Dans un tel contexte et pour rester sous l’angle artistique, on se souviendra également que rares sont les acteurs à proposer des interprétations inoubliables lorsque la mise en scène reste médiocre voire calamiteuse.
Ainsi face au questionnement de l’OPJ N°2 rares seront les gardés à vues qui feront preuve de créativité artistique, ce d’autant que l’on oubliera pas non plus, que la dimension résultant de la privation de liberté et de l’absence de description préalable du périple touristique auquel il est contraint pour les 24 prochaines heures, n’exalteront pas les propres connexions neuronales du gardé à vue.
Le tout étant le plus souvent agrémenté du décor et de l’odeur des geôles, mais aussi bien souvent de la promiscuité d’un bureau où s’entassent 3 à 4 enquêteurs tous collègues, qui ne manqueront pas de participer de facto à l’aventure ; l’OPJ N°2 ayant donc en plus, la garantie d’un public averti pour le déroulement de l’interrogatoire qu’il a décidé de mener !
Et c’est d’ailleurs là tout l’habileté du metteur en scène enquêteur N°2 qui sait tout cela, et qui veut justement qu’il en soit ainsi…
En d’autres termes il est frappant alors de découvrir que les questions posées ne seront les vecteurs d’aucune notion de raison à proprement parler rigoureuse, au sens de la démonstration intellectuelle que se voudrait être pourtant le squelette d’un interrogatoire de GAV.
Rassembler ce qui épars au travers d’une enquête, pour en faire la trame d’une démonstration au travers d’un ou de plusieurs des interrogatoires de GAV est, pour l’OPJ N°2, le cadet de ses soucis.
Seule compte sa capacité de démontrer que le gardé à vue n’est fait que de peu de qualités intrinsèques, voire même d’ailleurs aucune ; un peu comme s’il avait un besoin impérieux de faire montre de sa propre vertu !
Rappelant ainsi au passage pour son propre compte, aux vus de son comportement directif et orienté la phrase de FEYDEAU : « Elle respirait la vertu, mais elle était tout de suite essoufflée ».
L’OPJ N°2 se transformant alors en un arpenteur désordonné du vrai et du faux, au travers de questions toutes plus décousues les unes que les autres, le tout pour ne chercher qu’une seule et unique chose : épuiser moralement son interlocuteur par le triste constat de l’absurdité de ses propres réponses.
Ainsi par ce biais l’OPJ N°2 ne poursuivra qu’une seule et unique idée : l’obtention de l’aveu de la personne dont il a décidé la GAV, et retranscrit les dires, qui plus est aujourd’hui au travers d’un procès-verbal où le plus généralement, la conjugaison du participe passé du verbe avoir semble pour lui plus difficile à réaliser que l’envoi de la fusée Ariane en orbite de la terre.
Les charges n’ont à l’aune des considérations pré citées, aucune raison d’être débattues devant lui ; seules comptent les conditions de la réalisation de l’aveu, un peu comme si ce n’était plus que l’ultime ou bien plus souvent, l’unique challenge à relever.
L’aveu comme patrie, l’aveu comme graal, l’aveu comme démonstration exclusive du travail de l’enquêteur N°2 !
Voilà portant la preuve irréfutable d’un travail d’enquête souvent des plus mal réalisés.
En effet nul besoin d’aveu quand l’enquête est bien menée et que surtout elle porte en elle la démonstration rationnelle voire même, de plus en plus fréquemment désormais, quasi scientifique de la culpabilité.
L’OPJ N°2 est bien souvent hélas aussi celui qui n’a pas été capable d’apporter les pièces justificatives de la culpabilité du colonel Moutarde ! Alors il lui faut l’aveu de ce dernier, car à défaut c’est d’abord au magistrat qu’il devra des comptes, et dont il sait qu’il a abusé de la confiance en obtenant de lui l’autorisation de prolongation manifestement prématurée et en tout cas théoriquement juridiquement contestable de la GAV en question…
En d’autres termes et pour conclure sur un sujet aussi vaste peut être que l’histoire de la mise en scène au théâtre, il faut garder en mémoire que, plus l’avocat sentira l’odeur du bouquet fleuri d’ellipses et de contournements, au fil des questions ou propos divers et trop mal orientés tenus par l’enquêteur qu’il aura en face, plus il pourra se dire qu’il reste encore pour son client un champ des possibles ouvrant la place au doute.
C’est en cela encore que sera démontré la mauvaise qualité de l’OPJ N°2 qui se ruera sur la GAV, alors que s’il avait travaillé dignement en amont, il n’aurait pas eu besoin de ce positionnement tout aussi suranné que démonstratif de ses propres carences face à l’avocat appelé en GAV.
Et c’est enfin parce que le législateur moderne est parfaitement informé de cette réalité fonctionnelle qu’il n’a pas donné la possibilité à l’avocat de s’exprimer en cours d’interrogatoire de GAV, préférant faire de lui un pot de fleurs, en permettant ainsi à l’OPJ N°2 de continuer à exister longtemps dans nos commissariats et nos brigades, aussi longtemps que des législateurs et des magistrats lui permettront de décider des placements en GAV et de leurs prolongations au demeurant majoritairement non fondées juridiquement, mais dont ils n’ont cure , tout simplement parce qu’ils sont, eux aussi, contraints fonctionnellement de faire confiance à l’OPJ N°2 !
Si l’avocat est contraint au silence durant la GAV c’est principalement aussi parce que l’enquête n’appelle aucune source de contradiction.
L’enquêteur n’est pas formé au débat, il est le maitre de l’orientation de son enquête et par voie de conséquence, du sens ou du non-sens, de la trame de l’interrogatoire de garde à vue qu’il décide de diriger, et il me semble important de parfaitement respecter cette réalité à laquelle il tient tant par ailleurs.
C’est aussi pour cela que le droit au silence est si important, mais surtout à ce stade, si efficace.
Laisser parler l’autre tout seul, sera toujours le meilleur moyen pour qu’il se taise rapidement, soit à jamais, soit pour qu’il revoit tout autant le fond que la forme de son mode d’expression.
Car il convient de garder en mémoire que l’enquêteur reste encore dans notre pays, l’outil, et qu’il n’est point celui qui juge.
A ce titre nul doute que dans la très grande majorité des cas le silence conduira le gardé à vue devant son juge, mais n’en est-il pas mieux ?
A coup sur oui, et ce, sans nul doute possible, puisque les exigences juridiques qui pèsent sur la mission de ce dernier sont bien supérieures et en cela susceptibles de recours, et puis aussi parce qu’il n’est pas seul dans sa mission, et enfin et surtout parque le contradictoire est sa culture et que son dossier est ouvert à l’avocat et ce dès le début de sa mission, comme gage de transparence.
Cette idée est d’autant plus importante que la tendance actuelle propre à la déjudiciarisation et au développement de procédures dites alternatives, est fondée sur l’aveux du délinquant, ce qui signifie en plus que dans ce contexte, la personne ayant avoué à l’issue de sa garde à vue, ne verra pas de juge à proprement parler pour décider de sa sanction, mais le seul procureur ou un délégué de ce dernier, le tout sans qu’aucun débat judiciaire n’est eu lieu en amont du prononcé de la sanction !!!!
C’est ainsi que pour ma part, je revendique que tant qu’il existera des OPJ N°2, il conviendra qu’il existe des conseils qui entretiennent et favorise le silence de leurs clients… Sachant qu’on sait tous que, quand on a trouvé à qui parler, on a plus vraiment grand-chose à se dire.
Cette réalité valant d’ailleurs tout autant pour l’OPJ N°2 dans son rapport avec l’avocat en question, que pour ce dernier dans son rapport avec son propre juge.
Mais ça, c’est encore autre chose….
A suivre….
Frédéric DAVID
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