JUSTICE D’AUJOURD’HUI, ou le défi de Juger sans juge
Le verbe JUGER a-t-il pour les pouvoirs publics le même sens aujourd’hui qu’il y a 10, 20 ou 30 ans ?
Quand on lit la définition du petit Larousse de ce verbe aujourd’hui, et qu’on la compare avec sa définition d’il y a 30 ans, il n’existe aucune différence.
Pourtant dans sa réalisation concrète et pratique, en d’autres termes dans l’action Républicaine de juger le citoyen, ce verbe ne présente pas du tout la même dimension que celle qui était la sienne voilà seulement quelques années en arrière.
En effet les modes de fonctionnement de l’institution judiciaire et l’appréciation de son action n’ont pas échappé aux gestionnaires et autres consultants budgétaires de tous poils.
A ce titre l’œuvre de justice est, elle aussi, désormais envisagée sous l’angle de son coût et par voie de conséquence, de sa rentabilité, à un point tel que le justiciable en découvre seulement poindre les prémices d’un futur qui ne présage que de l’incompréhension et du questionnement.
Ils sont chaque jour plus nombreux les citoyens qui poussent la porte d’un cabinet d’avocat avec une convocation pour une audience dite de Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité ou de Composition Pénale, si ce n’est encore de classement sous conditions.
Ces nouveaux modes de poursuites, dits de déjudiciarisation, appelés aussi modes alternatifs, n’ont pour seul et unique but de ne pas permettre au citoyen d’accéder au bénéfice d’un juge digne de ce nom, pour connaitre de son affaire et de l’univers au sein duquel elle est survenue.
Vider les salles d’audiences pénales serait donc devenu le leitmotiv d’une nouvelle politique pénale et donc, l’action première exigée du pouvoir politique en place auprès des procureurs en charge du sacrosaint principe de l’opportunité des poursuites.
En quoi cette action est-elle peu à peu devenue très inquiétante ?
Pour répondre à cette question il faut s’attarder un instant sur la concrétisation pratique de ce mode alternatif, et les conditions qui président à sa mise en branle.
En clair un citoyen se rend coupable d’une infraction pénale dont la peine encourue est inférieure ou égale à 5ans (en pratique cela revient à inclure la plus grande partie des infractions qui sont accomplies en moyenne quotidiennement dans l’hexagone).
La personne en question doit évidemment avoir été interpellée et avoir reconnu être l’auteur des faits délictueux ou contraventionnels en question.
Le procureur peut décider, sans aucun contrôle préalable, de ne pas la faire citer devant un Tribunal de police ou un Tribunal Correctionnel, et de la convoquer devant lui, ou, de plus en plus souvent désormais, devant l’un de ses différents subalternes.
Il sera alors délivré à la personne en question, le plus généralement à l’issue de sa garde à vue, une convocation à se rendre au sein d’un bureau de son Tribunal de Grande Instance pour y rencontrer le Procureur de cette juridiction ou plus pratiquement l’un de ses délégués.
Là, dans l’antre de la bête, en dehors de toute publicité et donc de témoin quelconque, derrière une porte bien fermée, ledit délégué saura rappeler à la personne sa reconnaissance antérieure de culpabilité, en clair ses aveux, puis il lui proposera, (non s’en s’empêcher préalablement de distiller une petite leçon de morale bien pesée), une peine valant sanction de la commission de l’infraction accomplie et surtout reconnue.
Il convient de noter que le terme proposé, ne doit pas être compris comme quelque chose de discutable ou encore de négociable, mais seulement comme le levier de pression visant à faire entendre qu’il n’y a rien à dire, et encore moins à contester, car en cas de refus de la part de la personne quant à la peine en question, la foudre lui tombera dessus, puisque par ce refus, la Procureur sera contraint d’organiser un vrai procès en audience publique, à propos duquel le subalterne en question n’omet pas de bien expliquer qu’il y sera alors requise une peine bien supérieure !
Attention Monsieur, réfléchissez bien…
Rappelant ainsi au justiciable, (s’il l’avait oublié en sortant de sa garde à vue), toute la portée de cette si jolie maxime de Boris VIAN : « Il y a deux façons de sodomiser une mouche : avec ou sans son consentement ».
Disons-le clairement et sans attendre, tout irait très bien si le choix initial guidant l’orientation vers ce type de mode alternatif de poursuite, ne se portait que sur des infractions bénignes et sujettes à peu de discussion quant à la matérialité du contexte factuel qui a présidé leurs commissions, ou encore la qualité de l’enquête par laquelle l’infraction est démontrée.
Pour cela il faudrait clairement et loyalement lister de façon exhaustives les infractions pouvant donner lieu exclusivement à ce type de mode de poursuite.
Mais la volonté de faire des économies étant aujourd’hui devenue si grande pour l’Etat, que la tendance de tous les parquets français est d’orienter au maximum le justiciable vers ce type de poursuites dès lors que des aveux figurent au dossier, et peu importe les conditions de réalisation des faits, et bien entendu surtout, des aveux….
L’intérêt dudit justiciable de disposer alors d’un véritable procès assorti d’un avocat digne de ce nom, œuvrant concrètement pour sa défense, pour juger ce qu’il a accompli, mais aussi et surtout la qualité de l’action de justice sont donc désormais clairement passés au second plan, derrière des considérations exclusivement budgétaires.
L’action de juger c’est désormais au travers de ce qu’elle coûte qu’elle se décide et s’organise.
Pour ma part, faire signer une feuille de papier en porte E24 au bout du couloir du troisième étage à 30 personnes en une matinée, qui plus est, sur un coin de bureau miteux, par un personnage simple contractuel du ministère de la justice le plus souvent, je suis au regret de penser que, si c’est juger de façon moderne, ce n’est pas, et ce ne sera jamais, rendre la justice.
Ce n’est pas rendre la justice, d’abord parce que la justice se rend publiquement aux yeux de tous dans des salles dignes de ce nom où l’Etat rencontre les siens et où, non seulement il leur parle, mais aussi où il les écoute dans une transparence d’action totale.
Ensuite parce qu’une salle d’audience est un endroit de paix et de concorde, où l’Etat a préalablement figé ses codes et ses symboles républicains, et où il vient poser son autorité non sans discussion préalable, et douleurs subséquentes pour le coupable, de par la sanction prononcée devant ses pairs, mais dans un univers qui, qu’on le veuille ou non, induit pour le condamné et ses derniers, une expérience pédagogique.
A force de penser la justice comme une prestation de service, on finit donc par penser l’œuvre de justice comme l’organisation d’une campagne de vaccination, où la distribution d’un anti diarrhéique suffirait pour répondre à l’épidémie du moment.
Il est évident que si notre justice bénéficiait du budget qu’elle mérite, elle accomplirait sa mission dignement et de facto, dans les conditions de sagesse et d’humanité que je viens d’énoncer, mais aussi et surtout, dans le but de réaliser la mission sociétale qui lui est constitutionnellement dévolue.
Mais attention toutefois, car si la justice n’a pas le budget qu’elle mérite c’est peut-être aussi car ses propres acteurs ne sont majoritairement plus formés à la hauteur de ses principes fondateurs, et qu’au surplus, ils semblent formatés par la peur de se démarquer du troupeau, et de devoir subir les affres de la pression qui découlerait d’une administration tout autant institutionnellement, que culturellement, servile d’un pouvoir en place (quel qu’il soit).
C’est d’ailleurs à se demander, qui de l’armée ou de la justice, aujourd’hui est la plus grande muette selon l’expression consacrée !
Mais il y a pire peut être, c’est l’acceptation dans le plus grand silence des juges du siège à ces fuites de leurs prérogatives de jugement via le développement de ces procédures alternatives.
Car il convient de garder en mémoire que les documents signés avec lesquels repartent les justiciables du bureau E24, portent le sceau d’un juge « homologateur » de ladite sanction pénale apposé dans des circonstances d’absolue dépendance au Parquet ; le délégué, ou subalterne en question n’étant qu’un malheureux factotum chargé seulement de débarrasser du plancher des salles d’audiences, ces gueux de justiciables encombrant de leurs dossiers.
Selon un récent rapport de l’OCDE, dont le quotidien les Echos a reproduit la synthèse dans son édition du 18 mai 2017, le développement de la robotisation serait tel dans le monde, que pour notre pays, il toucherait près de 9 pour cent de personnes, dont le travail viendrait ainsi peu ou prou à être remplacé par une machine…
Le juge moderne devrait peut-être réfléchir à deux fois avant de prêter son concours à ce type de situations, toutes plus dégradantes et indignes pour sa fonction les unes que les autres, qui à terme pourrait le voir remplacé par une merveilleuse machine à juger les gueux consommateurs de justice que nous sommes.
Certes il se débarrasse de la présence du justiciable devant ses yeux, mais aussi et surtout des gesticulations de l’avocat de ce dernier, qu’il considère depuis trop longtemps comme incompétent, et forcément nuisible dans le meilleur des cas, à la concrétisation de son œuvre de justice, ou dans le pire, complice des agissements de ses propres clients.
« Ignore ce que je suis et procure-moi quelques déguisements qui conviendraient au dessein que je forme » Shakespeare (la nuit du roi) tel devient au fil du temps le propre de son action dans son rapport à l’altérité constituée par l’avocat dans ce qu’il lui reste de mission.
Mais dans cet esprit de collusion avec le parquet, de duplicité et surtout de lâcheté, que dire des institutions représentatives de la profession d’avocat, qui, sous couvert de modernité, se sont résignées sans combattre, à participer à la disparition évidente du propre mode d’exercice et d’existence de l’avocat dans la sphère qui touche pourtant aux plus évidentes libertés publiques ?
Du côté du droit pénal, elles ont accepté servilement des textes qui revenaient à tolérer leur présence mais n’organisant, ni ne précisant, les conditions d’une quelconque action de défense de l’avocat, et pour cause, puisque le principe de fonctionnement de ces procédures dites alternatives, repose sur l’absence de tout débat, le tout revenant à faire de l’avocat le pot de fleur garant des sacro saintes apparences d’une justice respectueuse de toutes ses valeurs ( cf. billet d’humeur : Garde à vue ou Gare d’aveux de mai 2017)…
Et sur le terrain civil, elles se sont engagées à grands coups d’épaules, à être celle qui sera la première, dans des processus de développement de médiation, qui plus est, dans, ou aux cotés, de cadres associatifs disparates ayant tous vocation à décrier et remplacer l’univers du contentieux judiciaire, servant ainsi la soupe à notre chère puissance publique, qui n’en demandait pas tant pour désengorger ses Tribunaux et faire des économies ?
L’accès au droit comme moyen d’éviter l’accès au juge.
Mais de quel droit parle-t-on alors désormais ?
Celui de rencontrer une brave dame, munie d’une prétendue formation diplômante de médiateur, ou pire d’un avocat en exercice par ailleurs, lui aussi détenteur de ladite formation, qui va venir parler à des époux ou des concubins, qui ne peuvent plus se voir en peinture depuis des mois, et qui sont contraints de partager le même toit, en leur expliquant que peut être le divorce ou la séparation via une instance judiciaire ne serait pas la solution, et qu’il faut faire un contrat ; traduction obligatoire de consensualisme et de raison, réparateur de tous les maux subis, et les mots prononcés par eux et entre eux . Amen.
C’est oublier le propre de la nature profonde de ces deux êtres mais aussi et surtout de la réalité de la source du contentieux qui les oppose.
C’est se moquer purement et simplement d’eux et des leurs difficultés, via une symbolique et hypocrite attitude toute entière promptement issue d’une pensée pieuse largement d’origine anglo-saxonne.
C’est faire semblant d’ignorer que si le principe est loin d’être idiot, il n’est culturellement pas le nôtre et surtout, il engage là aussi des moyens, car il prend nécessairement du temps pour permettre à ce que la mousse du conflit redescende et la mayonnaise de l’accord monte.
Il n’y a pas plus d’argent pour faire travailler correctement et dignement un magistrat, qu’il n’y en a pour réaliser correctement une médiation.
Et puis enfin, c’est PRINCIPALEMENT un moyen habile de leur dire : ne venez pas déranger l’Etat avec vos problèmes de fesses, ou de sous, ou de gosses que vous ne savez manifestement pas élever, assumez et débrouilliez-vous pour le résoudre entre vous, l’Etat n’a plus d’argent à consacrer au règlement de vos soucis, ni de temps à faire perdre à des juges à assister à des audiences nécessairement stériles.
Juger c’est cher, surtout qu’en plus vous êtes de plus en plus pauvres, et que l’Etat devra payer vos avocats embarrassants et incompétents via l’aide juridictionnelle, que nous ne voulons plus financer. Apprenez donc à vous entendre via la brave dame de l’association de médiation qui n’est pas, ou très mal rémunérée, ou l’avocat reconverti qui n’a toujours pas lu Boris VIAN, ou peut-être l’a lu, mais adore la mise en œuvre de ses maximes, et faites un contrat ça ira mieux pour vous, car vous verrez combien après sa signature, vous vous sentirez adultes.
Fin de discussion. Stop à l’arnaque.
Classement sous conditions, Composition pénale, CRPC, médiations de tous poils, sont à la justice ce que l’aromathérapie, la réflexologie, la naturopathie, ou encore l’homéopathie sont à la médecine.
Ils vident la sécurité sociale de ses créanciers tout en donnant à ces derniers un semblant de réponse scientifique via des acteurs déréglementés volontairement éloignés des sentiers classiques et couteux des soins traditionnels, le tout à la charge exclusive des patients en question ou de leurs mutuelles, auxquels on fait croire qu’ils ont en mains une réponse prétendument scientifique possible contre leurs maux ?
Réponse, oui mais pas de soins. D’ailleurs dans le même ordre d’idées, on notera que dans le langage de cette justice moderne on ne parle plus de jugement mais de réponse judiciaire…
La grosse différence toutefois entre médecine nouvelle et justice nouvelle, reste que lorsqu’un citoyen passera la porte d’un établissement public de santé dans notre pays, est qu’il trouvera encore des gens qui auront l’idée et l’envie de le sauver ou au moins de le soigner, alors qu’il n’est vraiment pas certain qu’il trouve des gens qui aient pour mission réelle, et volonté intrinsèque de le juger dignement, lorsqu’il passera le seuil de ce qui reste du fronton de nos Tribunaux, mais ce qui est sûr, c’est qu’il ne viendra jamais pour rien, puisqu’on lui donnera une réponse ; quant à la qualité du contenu de cette dernière, alors là ….
Alors….Attention au franchissement de la porte du bureau E24 citoyen, car désormais quand la réponse judiciaire passe c’est la Justice qui trépasse.
Façonnier de son propre trépas, le juge moderne dans son action, ne se rend même pas compte qu’il s’autolyse à petites doses de compromissions et de lâchetés.
Mais au fond je crois qu’ il le sait et qu’il s’en moque, car avant tout, il aura eu la satisfaction qu’il aura réussi à ce que l’avocat le fasse avant lui et dans les mêmes conditions !
Frédéric DAVID (juillet 2017)
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