Intersexualité, hermaphrodisme, transexualité, transgenre… tant de notions qui font partie aujourd’hui du paysage juridique.
Le voile est levé sur ce qui constituait l’isolement de certaines personnes, différentes.
Les droits fondamentaux des personnes intersexuées ne sont souvent pas respectés, notamment du fait des stéréotypes reposant sur cette dichotomie du genre et, en raison de normes médicales qui définissent, seules, ce qui est un corps d’homme ou de femme.
A ce jour, notre société européenne est encore très frileuse pour reconnaître la réalité de ces personnes intersexes sur lesquelles des interventions chirurgicales et médicales sont pratiquées, même parfois lorsqu’elles ne sont pas médicalement justifiées, afin de les faire entrer dans une des catégories, homme ou femme, peu importe finalement que ces personnes aient été consultées ou informées préalablement.
L’approche classique et dominante qui catégorise une personne comme étant soit un homme, soit une femme, influence la législation et la politique.
Mais il convient de réviser les législations et les pratiques de l’Union Européenne qui peuvent donner lieu à une discrimination et à des violations graves de l’intégrité physique et psychologique des personnes intersexuées, en particulier lorsqu’elles sont jeunes.
« Les droits des personnes intersexuées ont, dans une large mesure, été négligés par les responsables politiques et les législateurs de l’UE au fil des années », affirme le directeur par intérim de la FRA.
« Les travaux de la FRA mettent en évidence des problèmes urgents qu’il faut résoudre afin de supprimer les barrières discriminatoires qui persistent et de soulager les souffrances inutiles que provoquent les interventions médicales ». [1]
Notre droit positif évolue au rythme de notre société et s’inscrit dans une tendance actuelle, législative et jurisprudentielle, en prenant enfin en considération les personnes intersexuées et la protection de leurs droits les plus fondamentaux.
Un document de la Haute Ecole de santé de Genève fait état d’une prévalence variant d’une naissance sur 500 à une sur 4000 pour les cas d’intersexualité actuellement recensés. [2]
Dans ce contexte, et enfin dans une prise en considération des personnes intersexuées, le 20 août 2015, le Tribunal de Grande Instance de Tours rend un jugement particulièrement novateur pour les actes de l’état civil, en reconnaissant une mention « sexe neutre » sur l’acte de naissance d’une personne intersexuée.
Si la jurisprudence française avait déjà eu l’occasion de se pencher sur le syndrome du transsexualisme et sur le changement de sexe, elle était saisie pour la première fois, d’une demande en rectification de l’acte de naissance d’une personne intersexuée, cette dernière affirmant ne se sentir ni homme ni femme.
Est alors reconnu le droit de faire apposer la mention « sexe neutre » sur l’état civil d’une personne âgée de 64 ans et née avec une ambiguïté sexuelle.
Elle possédait en effet les organes sexuels à la fois d’un homme et d’une femme : « un vagin rudimentaire et un micro-pénis », mais pas de testicules.
Dès lors, cette décision permet à une personne intersexuée la possibilité de substituer, dans ses actes d’état civil, la mention « sexe neutre » à la mention « sexe masculin ».
Toutefois, en dépit de son intérêt pour la personne concernée, le Ministère Public a interjeté appel de cette décision.
Pour autant, elle mérite d’être relevée car c’est une première en France.
Pour reprendre brièvement les faits, une personne intersexuée, c’est-à-dire dont les organes génitaux ne correspondent pas à la distinction habituelle masculin-féminin avait demandé, auprès du Président du Tribunal de Grande Instance, sur le fondement de l’article 99 du Code Civil, la rectification de son acte de naissance.
Celui-ci portait la mention «de sexe masculin ».
Or, le requérant ne s’identifie aucunement à ce sexe, ni d’ailleurs au sexe féminin.
Il demande alors l’inscription de « sexe neutre ».
Le Ministère Public, quant à lui, s’oppose à cette rectification au motif qu’elle relève d’un débat de société appartenant au législateur et non au juge. Il ajoute en outre que l’article 57 du Code Civil impose que toutes les personnes soient rattachées à un des deux sexes habituels.
Aux fins de prouver son intersexualité, le requérant produit différents certificats médicaux ainsi que des témoignages puisque le sexe est un fait juridique qui se prouve par tous moyens.
Les juges du premier degré font une appréciation des faits, dont il ressort que le requérant ne dispose pas biologiquement et psychologiquement de prédisposition à être plus un homme qu’une femme.
Le TGI de Tours s’est fondé sur l’article 57 du Code Civil et sur le point 55 de la section 2 de la circulaire du 28 octobre 2011 relative aux règles particulières à divers actes de l’état civil relatifs à la naissance et à la filiation, qu’il va interpréter au regard de l’article 8 de la Convention européenne de droits de l’homme qui assure le droit au respect de la vie privée.
En outre, il relève qu’il n’y a pas de contrariété à l’ordre public puisque le requérant demande la rectification de son acte de naissance, pour prendre en compte sa situation véritable et personnelle, et non la création d’une troisième catégorie de sexe. Cela permet également au tribunal de considérer qu’il ne viole pas l’article 5 du Code Civil qui lui interdit de se prononcer de façon générale sur les causes qu’on lui soumet.
En outre, en rendant cette décision, le juge ne s’est nullement substituer au législateur comme tente de le faire accroire le Ministère Public mais a tranché le cas particulier que le requérant lui avait soumis. [3]
Cette décision s’inscrit alors dans une tendance à reconnaître aux personnes intersexuées une possibilité de ne pas choisir entre le sexe féminin ou masculin en dépit des classifications binaires du sexe et du genre, omniprésents dans notre société.
Cette possibilité avait déjà été recommandée par le Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe :
« Les Etats membres devraient faciliter la reconnaissance des personnes intersexuées devant la loi en leur délivrant rapidement des actes de naissances, des documents d’état civile, des papiers d’identité, des passeports et autres documents personnels officiels tout en respectant le droit de ces personnes à l’autodétermination. L’assignation et le changement de sexe / genre dans les documents officiels devraient être effectués selon des procédures souples et offrir la possibilité de ne pas choisir un marqueur de genre spécifié, « masculin » ou « féminin ». Les Etats membres devraient examiner la nécessité d’indiquer le genre dans les documents officiels. »[4]
Elle est, par ailleurs, reconnue par certains pays tiers à l’Union Européenne tels que l’Australie, l’Inde ou encore l’Afrique du Sud.
La Haute Cour d’Australie, plus haute juridiction australienne, a rendu au cours de l’année 2014 une décision à l’issue de laquelle il était admis d’inscrire sur le registres de l’état civil la mention « sexe non spécifique » (« non-specific) pour une personne ayant entrepris des actes médicaux de transition sexuelle, en dépit de la distinction classique sexe féminin et sexe masculin. [5]
Mais « C’est la première fois qu’on reconnaît en Europe l’appartenance d’un adulte à un sexe autre que masculin ou féminin» déclare Monsieur Benjamin Moron-Puech, auteur d’un mémoire « Les Intersexuels et le droit » (Université Panthéon-Assas).
Pour la première fois, une juridiction française a autorisé une personne à sortir du système binaire traditionnel masculin/féminin en ordonnant à l’officier d’état civil de la mairie de Tours de modifier son acte de naissance pour y faire figurer la mention sexe neutre.
Mais il ne s’agit pas là de créer un « troisième sexe » mais de prendre acte de l’impossibilité, parfois, de rattacher une personne à tel ou tel sexe.
Toutefois, le jugement du TGI de Tours n’est pas exécutoire puisque le Ministère public a interjeté appel, étant peu séduit par la nouveauté et par la liberté exposée par les juges du fond dans la détermination juridique du sexe.
Cependant, il en va de l’importante évolution vers le refus des pratiques médicales au travers de traitements chirurgicaux et hormonaux, de conformation sexuée non consentie ou effectuée sur le fondement de consentements non éclairés de jeunes enfants.
Aurélie JOLY
[1] Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne
[2] Variations du développement sexuel, Adriana Chédel, Elodie Fation, Sarah Kiehl, Audrey Perseghini, Travail de mobilité en partenariat avec la faculté de médecine, juin 2013.
[3] Commentaire de Maître Mila PETKOVA, Avocat au Barreau de Paris
[4] Document thématique publié par le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe
[5] Haute Cour d’Australie, 2 avril 2014, NSW Registrar of Biths, Deaths ans Marriages v Norrie.
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